Iode et tomate de mer.
 
 


Mes pêches d’enfant commençaient dès l’aube. Nous partions, équipés de pieds en cape, à la pêche. Il serait plus juste de dire aux pêches. Car il y avait deux époques. À la froidure du matin correspondait la pêche à la ligne. Nous avions de toutes petites cannes en roseau, comme leur nom l’indique bien, où étaient suspendus le fil nylon, l’hameçon et le plomb. Non pas sous forme de billes comme les pêcheurs modernes utilisent. Non ! du plomb de tuyau, façonné au marteau à partir de tuyaux de plomberie, et surtout fixé à la ligne par morsure ! Saturnisme, ne connais pas ! C’est une maladie ça ?
Nous pêchions à vue, sans le bouchon des Parisiens ou des touristes.
L’amorce, c’était le nom de ce que nous accrochions à l’hameçon, était constitué d’escargots à pattes. Pas les pattes, non l’abdomen seulement dont les vidroits et les girelles étaient particulièrement friands. Les racaos ne dédaignaient pas, mais ils n’étaient jamais les premiers dessus. Le vidroit, ou girelle paon, de loin le plus rapide attaquait toujours le premier et le royal, alias le mâle, représentait souvent par sa taille la plus belle pièce de la matinée. À moins qu’un racao bleu-vert, à grosses lèvres épaisses ne se suicide volontiers. Cela nous prenait la première moitié de la matinée. Disons jusqu’à 10 heures. Après, nous nous mettions tous à poil, enfin en maillot de bain, avec masque et pique de crabe avec anneau au bout opposé au harpon de la flèche. Il fallait là encore façonner l’objet. Marteau pour aplatir l’extrémité flèche, puis lime pour dessiner la pointe et les deux ardillons et surtout le tuyau-fer qui permettait de former l’anneau de l’autre bout pour y fixer les lanières de caoutchouc (pauvres chambres à air de pneu). Celles-ci, attachées au rond de fer, se terminaient par deux anneaux caoutchouc, dans lesquels nous passions pouce et index. Il suffisait ensuite de tendre les « sandows » en maintenant la flèche dans le creux des deux doigts pour viser le gros racao plaqué contre le rocher et se croyant à l’abri, ou la rascasse immobile dans son trou. Le lâcher de l’anneau de fer par la main droite envoyait la flèche de fortune dans le flanc de la proie. Et ainsi sans aucun fusil, on complétait la bouillabaisse avec force rascasses surtout, et quelques gros labres verts. Dans l’intervalle, ou en même temps, quelques beaux oursins, les violets surtout, dont tout le monde sait qu’ils sont les plus « pleins », payaient de leur vie leur arrogance multicolore. Ce qui fait que vers midi comme quelques poulpes, et ils étaient nombreux : 52 un certain mois de juillet, embarrassaient quelque peu les fonds marins, nous sortions de l’eau comme des héros du quartier. Certains matins la pêche à la ligne s’effectuait à bord d’embarcations célèbres à cette époque. Il s’agissait de chambres à air d’avion énormes où quatre gamins tenaient à l’aise. Alors là, la sortie tenait de l’expédition. Le départ était prévu plus tôt parce qu’il y avait d’abord la recherche des vers (néréides), qui se faisait soit à la raclette sur l’algue rose, qui faisait mousse et qui est beaucoup plus rare sur la Côte d’Azur, soit au sulfate (de cuivre), vous avez dit pollution ? Dans les deux cas, les vers finissaient dans la calotte humide, généralement la partie arrondie d’un vieux chapeau en feutre. Là mélangés à l’algue jaune vert en forme de grappe de raisin (Cystoseira stricta), ils restaient humides et bien vivants tout le long de la partie de pêche. À bord de la grosse bouée nous atteignions alors les coins les plus reculés des rochers du quartier, où de somptueuses « tomates de mer » d’un rouge agressif nous narguaient de leur insolente beauté. Les grottes étaient inspectées de fond en comble. Le groupe faisait bloc et partageait ses peurs plus ou moins avouées. C’était magique, sans compter que la pêche était quasi miraculeuse car rougets, touts petits mérous ou grosses rascasses, voire quelques sars venaient améliorer l’ordinaire des pêches à pied, donc à terre. Les jours de chance, mais ils étaient rares, un scorbaï (ou corbeau, ou corb) nous faisait l’honneur de sa belle livrée marron glacé et or. Le magique devenait alors féerique et à la sieste obligatoire, nous faisions des rêves plus beaux encore. Voilà ce que j’appelle une jeunesse idéale, elle s’est déroulée du moins pour moi de 1944 à 1950. Après le charme fût moins grand, les passions plus partagées. Le volley-ball était arrivé et le sport de compétition, voire de haut niveau, prit le pas et fut en outre compliqué par les études secondaires, puis supérieures. Comme en plus les filles, auxquelles il fallait bien accorder quelque peu d’attention, prenaient de plus en plus d’importance, le côté magique des pêches en bouée aéronautique s’estompa.

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